Perspectives économiques de Bennett Jones: Agir sur le long terme

Juin 2023

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Au cours des trois dernières années, les gouvernements, les entreprises et les travailleurs ont été confrontés à une série de chocs et de perturbations qui ont mis à l’épreuve leur agilité et leur résilience. La pandémie, la guerre en Ukraine, les contraintes de la chaîne d’approvisionnement, les fluctuations des prix des produits de base et la hausse de l’inflation et des taux d’intérêt ont exigé des mesures d’adaptation rapides. Il y a des répercussions, de l'incertitude et des risques, et il faut encore s'adapter.  La capacité de traverser une période de turbulence reste un enjeu important de la planification des politiques publiques et des activités d’entreprises.

Cela dit, compte tenu des forces qui façonnent le monde de demain, il importe encore plus de savoir comment les gouvernements et les entreprises prévoient investir, innover et créer les conditions propices à une croissance durable à long terme.  

Le document Perspectives économiques, intitulé Agir sur le long terme, passe en revue les développements récents et les perspectives à court terme, présente un scénario de référence et les risques pour faciliter la planification des activités et décrit le contexte dans lequel les gouvernements et les entreprises au Canada doivent situer leur action sur le long terme.

À court terme, la priorité est de rééquilibrer la demande et l’offre et de retrouver le chemin d’une croissance non inflationniste. À plus long terme, dans un monde fragmenté, le Canada doit redoubler ses efforts, accroître la proportion de son revenu national qu'il consacre à l'investissement par rapport à la consommation et doter ses travailleurs de plus de compétences et d’équipements de pointe pour réussir sur les marchés nationaux et mondiaux.

Un ralentissement de l’économie mondiale 

L’inflation des prix a diminué par rapport aux sommets atteints au milieu de 2022, mais elle demeure élevée. Les hausses des taux d’intérêt directeurs des banques centrales ont contribué à modérer la demande et les taux doivent rester élevés plus longtemps. L'inflation ne reviendra pas à la cible rapidement.  

Par conséquent, la croissance mondiale sera faible en 2023.  Elle s'accélérera en 2024 et, d’ici 2025, elle sera à peu près égale à la croissance potentielle à moyen terme, avec une faible inflation. Nous utilisons comme toile de fond les dernières Perspectives de l’économie mondiale du Fonds monétaire international (FMI) jusqu’à la fin de 2024. Le FMI prévoit une croissance du PIB réel mondial de 2,8 % en 2023 (en baisse par rapport à 3,4 % en 2022) et de 3 % en 2024.

La seule économie importante qui diverge des autres est la Chine. Elle rebondit en 2023 après l'abandon de la politique de zéro COVID : le FMI prévoit une croissance de 5,2 % en 2023 (par rapport à 3 % en 2022) et de 4,5 % en 2024. Les récents développements remettent en question la force de la reprise en Chine, mais les autorités s’efforceront sans aucun doute d’atteindre leur objectif de croissance de 5 % pour 2023. L’Inde se démarque en raison du rythme de son expansion prévue : 5,9 % en 2023 et 6,5 % en 2024. Ensemble, la Chine et l’Inde devraient représenter environ la moitié de la croissance mondiale en 2023, et l’Asie, jusqu’à 70 %. 

Il y a des risques de récession et de changements désordonnés. L’inflation pourrait s'avérer plus difficile à maîtriser, ce qui prolongerait au-delà de 2025 la voie du retour à une croissance non inflationniste. Bien que les autorités américaines et européennes aient rapidement pris des mesures en mars 2023 pour remédier à la défaillance des banques, des tensions financières existent en raison des niveaux records d’endettement public et privé. L’intensification de la guerre en Ukraine ou la montée des tensions à Taïwan pourraient faire grimper les prix des produits de base, faire baisser la confiance et déstabiliser les marchés de capitaux.  

Un environnement mondial plus complexe et plus fragmenté

Les chocs récents auront des effets durables, tandis qu’il faudra aussi s’adapter aux changements structurels induits par la démographie, les changements climatiques et la technologie. Après des décennies de baisse des taux d'intérêt réels en raison d'un excès chronique d'épargne mondiale, il y a lieu de s'attendre à ce que, même lorsque l'inflation sera de nouveau à son niveau cible, les taux d'intérêt nominaux et réels soient plus élevés qu'avant la COVID.  Le potentiel de croissance sera moindre. Le FMI a le taux de croissance mondiale projeté le plus bas pour les cinq prochaines années depuis 1990.

La mondialisation telle qu’elle s’est poursuivie au cours des dernières décennies a atteint son apogée et les marchés sont de plus en plus fragmentés. Dans une période de rivalité géopolitique intense, le commerce et l’investissement sont influencés par la recherche conjointe de la sécurité nationale et de la sécurité économique. Les États-Unis et les pays du G7 insistent pour dire qu'ils ne se « dissocient » pas de la Chine, mais plutôt qu'ils « réduisent les risques » des activités et des chaînes d'approvisionnement, mais les conséquences dans les industries, des minéraux essentiels aux semi-conducteurs, sont profondes. L’Organisation mondiale du commerce perd de son efficacité, car les règles commerciales sont déterminées par un nombre croissant d’accords bilatéraux ou plurilatéraux, voire par les mesures unilatérales des grandes économies.  Parallèlement, la recherche d’un avantage concurrentiel dans des secteurs stratégiques tels que les technologies propres ou les véhicules électriques donne libre cours à des politiques industrielles et à des guerres de subventions qui peuvent également avoir des motifs ou des effets protectionnistes. L'espace numérique, ses normes et ses règles, est aussi un champ de bataille pour obtenir des avantages stratégiques et économiques.

Il y a encore des possibilités de croissance des marchés. Pour les entreprises canadiennes, les accords commerciaux avec les États-Unis, le Mexique, l'Union européenne et certaines des économies asiatiques les plus fortes et les plus dynamiques procurent un avantage, et ils demeurent sous utilisés. Pour les entreprises, l’atténuation des risques consiste à bâtir des marchés et des chaînes d’approvisionnement résilients dans un monde fragmenté, tout en répondant à des règles et normes du marché plus exigeantes en matière de pratiques environnementales, sociales et de gouvernance (ESG).

Les économies américaine et canadienne jusqu’à la fin de 2025 — Refroidissement, puis convergence vers la croissance potentielle

Compte tenu de la conjoncture mondiale, ainsi que de l’incertitude et des risques nationaux, il existe une gamme de résultats plausibles pour les économies américaine et canadienne au cours des 24 à 30 prochains mois.

Le point de départ est une production supérieure au potentiel, une inflation sous-jacente obstinément élevée et des marchés du travail tendus.  Malgré les hausses marquées des taux d’intérêt amorcées par les deux banques centrales en mars 2022, la demande s’est avérée résiliente. 

Nous estimons que les taux d’intérêt directeurs aux États-Unis (plafond de 5,25 % pour le taux des fonds fédéraux) et au Canada (4,75 %), en date du 7 juin, sont à leur sommet ou près de celui-ci.  Nous ne nous attendons pas à un relâchement de la politique monétaire en 2023. Les taux directeurs ne diminueraient que graduellement en 2024 et 2025.

Les taux d'intérêt élevés vont refroidir les deux économies au cours des prochains trimestres. Nous prévoyons qu’au cours de la période du deuxième trimestre de 2023 au deuxième trimestre de 2024, le PIB réel croîtra à des taux annualisés de 0,8 % aux États-Unis et de 1 % au Canada. Par la suite, avec une inflation à la baisse et des baisses des taux d’intérêt, la croissance se raffermirait, atteignant une moyenne annualisée de 1,9 % aux États-Unis et de 2,5 % au Canada jusqu’à la fin de 2025. Des flux d’immigration plus importants au Canada contribuent à une croissance économique plus rapide en augmentant à la fois la production potentielle et la demande globale.  

Il ne sera pas facile de ramener l’inflation à son niveau cible — pour le Canada, au milieu de la fourchette de 1 % à 3 % pour le taux d’inflation de l’Indice des prix à la consommation (IPC) total. L’inflation des prix des services est persistante et pourrait être accentuée par la pression sur les salaires. Même dans notre scénario de référence, le taux d’inflation de l’IPC total sera légèrement supérieure à 2 % au Canada d’ici la fin de 2025. 

D’ici là, nous nous attendons à ce que les taux d’intérêt directeurs soient à peu près neutres, ni stimulants ni restrictifs : de 3 % à 3,25 % aux États-Unis et de 2,75 % à 3 % au Canada. Les taux des obligations d’État à 10 ans se situeraient entre 3,25 % et 3,50 % aux États-Unis et entre 3,0 % et 3,25 % au Canada. Ces taux d'intérêt seraient représentatifs des moyennes à prévoir sur la durée du cycle économique dans un monde post-COVID.

Ce scénario comporte des risques. Si les événements mondiaux provoquent de nouvelles tensions ou si l’inflation est plus forte que prévu, il pourrait y avoir une récession, mais plus probablement une période prolongée de faible croissance et d’ajustement. La récente entente sur le plafond de la dette aux États-Unis lève une part d’incertitude.

L’optique à plus long terme : Les compétences

Tandis que les paramètres qui déterminent les développements à court terme peuvent être volatils, des facteurs comme le vieillissement de la population, les changements climatiques et la technologie, en particulier la numérisation, exercent des forces plus prévisibles et durables sur l’économie. Les gouvernements et les entreprises doivent planifier en conséquence.

À l'aide de simulations jusqu'en 2032, nous dissipons une préoccupation récurrente, à savoir que notre problème sera une pénurie de travailleurs. Certes, au cours des dernières années, la demande de main-d'œuvre des employeurs a augmenté plus rapidement que l'offre de main-d'œuvre, de sorte que le marché du travail s'est resserré. Cela se manifeste par un taux de chômage historiquement bas et un taux élevé de postes vacants. Toutefois, nous estimons qu'au cours de la prochaine décennie, compte tenu des tendances démographiques et de l'immigration prévue, l'offre de main-d'œuvre au Canada augmentera suffisamment rapidement pour répondre à la demande. Il faudra déployer des efforts, par exemple, pour garder plus de travailleurs âgés sur le marché du travail, mais notre défi ne portera pas sur la quantité de main d’œuvre.  

Il s'agit de doter nos travailleurs, y compris les immigrants, des compétences et du capital nécessaires pour répondre aux besoins qualitatifs des employeurs et pour accroître la productivité. En ce qui concerne les compétences, il y a lieu de s'inquiéter du fait que les changements dans la composition de l'immigration économiques entre les divers programmes au cours des dernières années ont coïncidé avec une baisse du niveau de compétences. Bien qu'il soit pertinent que la politique d'immigration contribue à remédier aux pénuries de main-d'oeuvre actuelles, cela ne peut occulter le fait que, à moins que l'immigration économique n'amène des travailleurs hautement qualifiés, elle ne contribuera pas à augmenter le revenu par habitant.

... et Investissement, innovation et croissance de la productivité

Le Canada n'investit pas assez dans le capital tangible et intangible. Les investissements non résidentiels, en proportion du PIB ou par travailleur, sont inférieurs à la moyenne historique. Comparativement aux États-Unis et à la moyenne des pays membres de l'Organisation de coopération et de développement économiques, notre écart d'investissement est important et il s'est creusé au cours des dernières années. 

Au cours des derniers trimestres, il y a eu une certaine reprise des investissements dans les structures (p. ex., la construction non résidentielle), mais pour la machinerie et l’équipement et les produits de propriété intellectuelle, la croissance a été faible, voire négative. La reprise économique après la COVID a été riche en emplois, mais pauvre en productivité.

Bien que les conditions ne favorisent pas nécessairement une augmentation des investissements au cours des prochains trimestres, les gouvernements et les entreprises doivent miser maintenant sur une hausse des investissements en proportion de notre revenu national.

Dans le budget de 2023, le gouvernement du Canada a intensifié sa politique industrielle pour une économie propre en instaurant ou en élargissant des crédits d'impôt, des subventions et des mécanismes de financement pour l’investissement dans les chaînes d'approvisionnement des véhicules électriques, l'électricité propre, l'hydrogène, le captage, l'utilisation et le stockage du carbone, les carburants propres ainsi que les technologies et la fabrication propres. Ces mesures répondent en partie à la loi américaine sur la réduction de l’inflation et visent non seulement à accélérer la transition énergétique, mais aussi à prévenir les sorties de capitaux.

Les mesures fédérales sont importantes et elles peuvent faire bouger les choses en matière d'investissement, mais il n'y a aucune certitude. Il existe des risques de marché et des risques liés à la réglementation. Les gouvernements et les entreprises doivent établir un plan d'exécution.

De plus, les investissements dans l'économie propre devront être faits de manière à maximiser la valeur que le Canada tirera de la transition énergétique. Pour ce faire, il faut assurer la sécurité énergétique du Canada et de ses partenaires économiques et tirer parti de notre approvisionnement en hydrocarbures. Cela signifie également générer de la valeur grâce à nos innovations, à notre propriété intellectuelle et à nos services dans le secteur mondial de l’énergie. Nous pouvons commercialiser notre expertise au-delà de la production et de la vente de produits énergétiques.

Même si elle est couronnée de succès, la transition énergétique ne résoudra pas nos écarts d'investissement et de productivité. Il faut faire un effort à l'échelle de l'économie et on ne peut pas le faire en multipliant les crédits d'impôt et les subventions.

Les gouvernements — fédéral et provinciaux — doivent créer un cadre qui permettera à la concurrence et aux incitatifs du marché de stimuler l'investissement et l'innovation. Les gouvernements doivent consulter les entreprises, dialoguer avec elles, réagir aux forces mondiales et remettre en question les intérêts et les politiques qui peuvent freiner la concurrence et susciter la complaisance. 

Les règles et les structures fiscales doivent être adaptées à un monde qui élargit rapidement le potentiel et les applications de la numérisation, où une part croissante de la valeur économique est générée par les actifs intangibles.  

Certaines initiatives sont en cours. Elles doivent être menées avec vigueur et avec un impératif d'urgence : un examen de notre politique en matière de concurrence, une modernisation des lois sur la protection des renseignements personnels et la gestion des données et des mesures visant à accélérer la numérisation dans le secteur des services financiers, y compris la modernisation des paiements et un système bancaire ouvert. Le marché d’aujourd’hui exige une réglementation souple et une collaboration avec des partenaires mondiaux.    

Il est temps d'examiner sérieusement la structure du régime fiscal. Nous avons besoin de plus d'investissements et, proportionnellement, de moins de consommation. Bien que la réforme fiscale soit un exercice politique périlleux dans le meilleur des cas, le Canada bénéficiera d'une discussion éclairée sur les répercussions de la fiscalité sur son économie.

Notre marché interne est un marasme réglementaire. Les provinces sont les maîtres d'oeuvre de l'Accord de libre-échange canadien et elles doivent faire preuve d'une ambition plus grande pour abattre les barrières de longue date qui relèvent d'un esprit de clocher. 

Les possibilités pour les entreprises

Notre monde change et il est incertain. Compte tenu de l’inflation et des taux d’intérêt toujours élevés, les perspectives à court terme sont celles d’une croissance modeste. Les entreprises doivent continuer d'évaluer et de gérer les risques avec soin.

Pour tirer parti du changement, les entreprises doivent investir une plus grande part de leurs bénéfices non répartis et s’efforcer de prendre leur place dans la transition énergétique et la numérisation de l’économie, en tenant compte d’un nouveau monde plus fragmenté. 

Il est essentiel que les entreprises s’engagent avec les gouvernements à mettre en œuvre des stratégies d’investissement et à contribuer à la création d’un cadre politique pour le développement des compétences, la concurrence, l’investissement, l’innovation et la croissance de la productivité. 

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